Dans le cadre des cours que je donne auprès d’étudiants en prépa infirmier à l’IRSS de Rennes, j’ai eu l’occasion d’assister à une intervention à propos du don d’organes (Hubert Le Montagner, greffé à trois reprises et président de l’association Transhépate Bretagne Ouest; Sabrina Jéhanno, infirmière de l’équipe de coordination hospitalière des prélèvements d’organes et de tissus au CHU de Rennes).
Un groupe d’étudiantes à choisi de réaliser son projet citoyen dans ce champ. En tant que psychologue de la santé, ce dernier ne peut que m’intéresser, bien évidemment. Je partage avec vous quelques points abordés lors de cette intervention.
Faire connaitre sa volonté
Lorsque l’on souhaite donner ses organes, il convient de le faire savoir à son entourage. Cela peut se faire oralement, très simplement, mais il est également possible de rédiger un texte en ce sens, sur papier libre. En parler à son entourage n’est pas toujours une chose évidente. Le sujet peut paraître délicat, sensible et l’on a vite fait de ne pas l’aborder. Pour autant, il s’agit de se projeter dans la situation où il pourrait être demandé à un membre de notre famille si nous étions d’accord ou non. Lorsque nous ne nous sommes pas positionnés clairement de notre vivant, il revient donc à l’entourage d’imaginer ce qu’aurait été notre réponse. S’ajoute donc à la souffrance de notre décès, au choc que celui-ci engendre, la responsabilité de « dire à la place de », et ce rapidement. Cela amène parfois certaines familles à refuser car le doute est trop inconfortable; au risque de le regretter par la suite. L’entourage du défunt qui est interrogé par l’équipe médicale l’est à titre de témoin. Il n’est pas question de leur demander de décider pour la personne décédée, mais de témoigner de ce qu’elle aurait voulu. Pour ce faire, la famille doit savoir.
De la même façon que pour signifier que l’on est donneur, il est tout à fait possible d’émettre le souhait de ne pas donner. Dans ce cas, il convient de s’inscrire dans le registre national des refus de l’agence de biomédecine afin de l’exprimer officiellement. Celui-ci sera systématiquement consulté par l’équipe médicale avant toute démarche auprès de la famille. Il est aussi possible d’exprimer ce refus auprès de son entourage, oralement, ou de rédiger une note dans ce sens. Ce choix n’appartient qu’à vous, il n’y a pas besoin de se justifier. Nous avons tous nos raisons, plus ou moins rationnelles, et le respect est évidemment de mise.
Il est également possible de dire « oui je suis donneur mais pas de tout », sans qu’aucune justification ne soit nécessaire. Chacun a ses raisons et cela s’entend parfaitement.
Un donneur = plusieurs receveurs potentiels
Face à un donneur il n’y a pas qu’un receveur, mais bien souvent plusieurs. De nombreux organes peuvent être prélevés afin d’être greffés sur plusieurs personnes. Un foie peut permettre de réaliser deux greffes, car cet organe a la particularité de se régénérer et peut donc être divisé. Il s’agit là d’une spécificité mais aucunement d’une procédure systématique. Le corps humain pouvant vivre avec un seul rein, lorsque deux reins sont prélevés, ils vont permettre de réaliser deux greffes. Un même donneur peut donc donner ses reins à deux receveurs, son foie à deux autres, son cœur, ses poumons, etc. Évidemment tout cela nécessite de remplir les conditions de compatibilité, de faisabilité en terme de transport, de vérifier que les organes sont sains, etc.
La mort encéphalique est l’un des principaux points de départ possible de la greffe (il y a également le don de son vivant et les donneurs décédés après arrêt circulatoire). Cet état se caractérise par l’arrêt de la perfusion cérébrale, qui entraîne la disparition de toutes les fonctions cérébrales puis la destruction irréversible de l’encéphale. Longtemps nous avons considéré que la mort se traduisait par l’arrêt du cœur. Or il est tout à fait possible de continuer à faire fonctionner les organes (cœur, foie, poumons…) alors que la personne est décédée, à l’aide de machines et/ou de drogues. Ceci dans le but de prélever ses organes et de réaliser le(s) don(s). La mort encéphalique représente à peine 0,5% du nombre total de décès.
Lorsqu’un prélèvement est réalisé, il faut savoir que le corps est restitué à la famille avec le moins de signe possible de ce prélèvement. C’est-à-dire que les plaies sont refermées, les tissus remplacés par des prothèses, la cornée par une lentille, etc. Le respect du corps du défunt et de son entourage est une préoccupation indéniable de l’équipe médicale.
L’anonymat : au cœur de la démarche
L’anonymat du don est essentielle, pour la famille du donneur, comme pour le receveur. Le mot don est central. Il ne s’agit pas d’accéder à un quelconque bénéfice financier lors du prélèvement d’organes, ni encore de permettre aux plus aisés de pouvoir accéder plus facilement aux organes. Nous sommes tous égaux face à la greffe. Les seuls éléments déterminants sont ceux de la santé, de l’urgence vitale. Les équipes médicales exercent là leur compétence diagnostic, ce qui entraîne un placement en telle ou telle position sur la liste d’attente.
De même le fonctionnement de l’assurance maladie en France nous offre cette opportunité qui est de ne pas nous préoccuper du coût de ces prises en charge. La solidarité de notre système de santé nous le permet, et cela est précieux.
Enfin, l’anonymat est garant de l’indépendance affective. Il pourrait être aisé de se sentir redevable à l’égard de la famille de « son » donneur. Imaginez alors les nombreuses dérives que cela pourrait entraîner : financières, émotionnelles, etc.
Lors de son témoignage Hubert a exprimé sa façon de remercier ses donneurs (il a été greffé à trois reprises) : il s’agit pour lui d’une part de vivre pleinement, heureux, de rayonner autant que possible, et d’autre part de s’investir dans l’association Transhépate Bretagne Ouest afin d’accompagner les autres lors de la période de pré-greffe ou après, de témoigner auprès d’étudiants (infirmiers, médecins…). Ses remerciements se révèlent à travers tous ceux qui croisent son chemin ou partagent son quotidien (dont ses 6 petits-enfants qu’il n’aurait pas connu sans ces dons), la société qui lui a permis de bénéficier de la greffe, mais pas en direction d’un individu, d’un donneur en particulier.
Pour autant il faut savoir qu’il est tout à fait possible d’écrire à la famille du donneur, en maintenant l’anonymat, via l’agence de biomédecine puis l’équipe médicale. Celle-ci fait le lien avec l’entourage qui peut choisir de le recevoir ou non.
La vie après la greffe
A travers les témoignages entendus lors de cette intervention, je retiens le mot Vie. Il ne s’agit en aucun cas de survie. Le quotidien des greffés est amélioré mais surtout la perception de ce quotidien est modifiée. Les « petits » tracas ne prennent plus de place. Ils ont bien conscience de la chance qui leur est donnée, de cette opportunité exceptionnelle de Vivre, pleinement.
Soutien et cheminement
La greffe est un chemin qui apporte son lot de bouleversements, pour soi et pour ceux qui entourent le greffé. En effet, on passe d’un statut de personne saine à celui de malade, puis à celui de greffé. Tous ces changements ont un impact sur la perception de soi, de la vie et de la mort, la maturité, le quotidien, etc. Les représentations évoluent. Tout cela n’est pas une route droite et plate, et nécessite un ajustement régulier face à soi-même mais aussi avec son entourage (familial, social, professionnel). Il peut alors être nécessaire de se faire accompagner, par exemple par un psychologue, que l’on soit le principal concerné, l’aidant naturel, le personnel soignant ou encore un membre de l’entourage. Il peut s’agir d’un seul rendez-vous, pour déposer son sac, vider les pierres qui s’y trouvent et pouvoir avancer plus sereinement. Il peut également être question d’un suivi, parfois à distance de l’événement, quand le temps a permis un certain recul et qu’il reste quelques cicatrices douloureuses. Chacun emprunte son chemin, à son rythme, selon ses besoins, ses envies et ses ressources.
A travers cet article il s’agissait de vous livrer une synthèse, « à chaud », mais évidemment bien d’autres points mériteraient d’être abordés : le don de son vivant, le rejet de la greffe (psychologique et/ou physique), la place du soignant, le lien entre conviction (religieuse, éthique…) et le choix très personnel de donner ou non, la « résurrection » du greffé, la prévention, et bien d’autres questionnements, constats et réflexions. Cet article ne se veut donc pas exhaustif.
Je remercie Hubert Le Montagner et Sabrina Jéhanno pour leur disponibilité, leur pédagogie et leur écoute lors de cette intervention, ainsi que les étudiantes qui ont mené à bien ce projet, Alexia, Lou, Romane, Valentine, Clarisse et tout particulièrement Marlène, greffée depuis le 29 juillet 2017, qui s’est fortement impliquée dans la réalisation de ce travail et qui a su transmettre à tous sa motivation et son expérience.
De gauche à droite : Lou, Hubert Le Montagner, Sabrina Jéhanno, Marlène, Alexia, Romane, Clarisse, Valentine.
Le don d’organes, et si vous y pensiez?
Vous pouvez retrouver bon nombre d’informations sur le site de l’agence de la biomédecine.